Se poser ces questions, c’est interroger notre rapport charnel au monde. Nous sommes de facto plongés dans ce dernier et notre corps est constamment en échange avec lui grâce aux sens que sont la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le toucher. Les sens sont les outils du corps liés à certains de ses organes pour appréhender le monde qui l’entoure, pour être-au-monde c’est-à-dire en relation avec lui.
Les sens fonctionnent souvent de concert et recoupent les informations qui leur parviennent du monde extérieur. Le corps se trouve ainsi bercé par le flot continu des sensations qui le pénètrent. Une sensation est l’information ou la stimulation d’un des organes récepteurs telle que traduite de manière interne chez un individu. Elle détermine donc un état psychologique à forte composante affective (plaisir, douleur) découlant des impressions reçues. Il y a ainsi des sensations auditives, olfactives, tactiles, visuelles, thermiques, etc. pouvant être plutôt agréables ou plutôt désagréables.
Non seulement nous ne vivons jamais exactement les mêmes expériences mais en outre, l’acuité de chaque sens varie d’une personne à l’autre quand bien même nous avons reçu un équipement semblable : un nez, des yeux, des oreilles, de la peau, une langue. Nous vivons dans le même monde avec des filtres similaires mais non point identiques. De la sorte, la signification donnée aux expériences vécues pourra être fort différente d’un individu à l’autre. Les enfants, par exemple, entretiennent trop souvent un dialogue exclusivement intérieur et négligent de partager leurs émotions ou désirs avec autrui ce qui les prive d’une plus grande compréhension mutuelle.
C’est qu’avec l’émergence de la conscience et de la pensée nous sommes au monde, également par notre imagination, notre réflexion, notre esprit. Le danger est alors l’oubli du corps, de tout ce qu’il reçoit constamment comme informations, perturbations, sollicitations du monde extérieur et qui influencent notre état de bien-être ou de malaise.
Il est donc primordial non seulement de prendre conscience du rôle spécifique de chaque sens, mais encore d’ affiner leurs perceptions. Car la perception résulte de la focalisation de notre attention. Les perceptions sont de nature très différente des sensations diffuses en ce qu’elles introduisent la délibération et le choix. Et l’on ne peut pas s’étonner ou s’émerveiller devant les choses singulières du monde si on ne les perçoit pas comme des choses distinctes et individuelles.
Malgré tout, notre corps enregistre et apprend des tas de choses par association affective. Ces associations affectives échappent totalement à notre contrôle. Les sensations répétées ou d’une intensité plus grande laissent dans le corps des traces mnésiques de forme affective qui pourront resurgir à la conscience lorsque se présenteront à nouveau à nos sens les stimuli liés à ces sensations agréables ou désagréables vécues par le passé.
Il s’agit de les identifier, parmi l’ensemble de sensations amalgamées qui nous arrivent, celles qui nous plaisent ou celles qui nous dérangent afin de pouvoir par la suite les rechercher ou les refuser. À cet égard, convoquer nos souvenirs – conscients cette fois – est un exercice pertinent pour nous habituer à discriminer les sensations stockées dans le corps inconsciemment au gré des expériences de vie, et qui viennent parfois chambouler le quotidien sans que nous ne comprenons ni pourquoi ni comment.